ELias
(Élie), op. 70, oratorio de Felix Mendelssohn Bartholdy, pour soprano, alto, ténor et basse soli, chœur à 8 voix et orchestre, d'après le texte de l'Ancien Testament (I Rois, 17-19), réunis et adaptés par le pasteur Julius Schubring, composé à Leipzig en 1845 et 1846 (achevé le 11 août), créé dans une version anglaise de William Bartholomew (Elijah) au Festival de Birmingham, le 16 août 1846, avec Maria Caradori-Allan (sop.), Maria Hawes (alto), Charles Lockey (Obadiah, ténor) et Josef Staudigl (Elijah, bar. basse), sous la direction du compositeur.
Première en langue allemande (après révision), à Hambourg, le 9 oct. 1847. (Bonn, Simrock, 1947; puis Leipzig, Br. & H., ou Peters, ou Deutscher Verlag für Musik ; durée : 2 h 15 min environ.)
Après le succès de
Paulus
à Düsseldorf en 1836, Mendelssohn décida d'écrire un nouvel oratorio. Il s'en ouvrit à son ami
Klingemann
, diplomate en poste en Grande-Bretagne (lettre du 18 février 1837).
Lors de la création de Paulus (en anglais) à Londres, en septembre de la même année, il traça le plan de l'ouvrage avec Klingemann. Finalement, ce fut le théologien
Schubring
qui se chargea de remodeler et de terminer le livret de l'oratorio. Mendelssohn commença la composition en février 1845 ; les parties chorales ne furent reçues que 9 jours avant le concert de Birmingham. Entre-temps, Bartholomew dut adapter le texte allemand à une version en langue anglaise qui ne soit pas trop éloignée de celle de la Bible du roi Jacques I" (« Authorized Version », datant de 1611).
La création de l'œuvre - en présence d'un public estimé à 2 000 personnes - fut un triomphe. Quatre chœurs et quatre airs furent redonnés. Bien que les airs et les récits de soprano aient été expressément composés pour le « rossignol suédois »
Jenny Lind
, celle-ci ne vint pas en Angleterre pour cette occasion, mais chanta ce rôle après la mort de Mendelssohn, à sa mémoire (Londres, Exeter Hall, 15 déc. I S48). Ce succès foudroyant fit considérer Mendelssohn, en Grande-Bretagne, comme un nouveau Haendel. Depuis 1846, Elijah continue à être chanté tous les ans à Birmingham.
Livret
1ère Partie.
Élie annonce la sécheresse comme châtiment de l'impiété du peuple d'Israël.
Abdias (Obadjah/Obadiah), chef de la Maison du roi Achab, demande au peuple d'abandonner les idoles et de retourner à l'Eternel.
Un ange ordonne à Élie de se retirer près du torrent de Kerith, puis à Sarepta où une veuve prendra soin de lui.
Le fils de cette femme meurt. Élie implore Yaweh. L'enfant ressuscite.
Élie demande à Achab de rassembler le peuple sur le mont Carmel.
Un taureau est choisi pour le sacrifice, afin de déterminer qui est le vrai Dieu, Baal ou Yaweh.
Les prêtres de Baal implorent en vain du ciel le feu qui doit consumer l'holocauste.
L'invocation d'Élie enflamme son offrande ; il ordonne ensuite d'égorger les prophètes de Baal, envoie un jeune garçon scruter l'horizon annonciateur de pluie.
Le peuple rend grâces à l'Éternel d'avoir été miséricordieux.
2ème Partie.
La reine Jézabel veut mettre Élie à mort parce qu'il a menacé Achab du châtiment de Dieu.
Découragé, le prophète s'endort sous un genévrier, protégé par les anges.
L'un d'eux l'éveille et lui ordonne de se rendre au mont Horeb.
Élie y attend avec confiance l'apparition de son Dieu.
Au moment où l'Eternel passe, un vent violent brise les rochers, la mer se soulève, la terre tremble.
Élie est enlevé au ciel par un char de feu.
La partition est conçue en deux grandes parties bien équilibrées, se terminant chacune par un monumental chœur de louanges.
Elles contiennent des épisodes dramatiques saillants (l'épreuve par le feu et l'attente de l'Éternel dans la seconde), avec des emprunts à l'Ancien Testament autres que ceux du 1er Livre des Rois Ésaïe 6, 1-3, pour le récit et chœur n° 35, «
Heilig ist Gott der Herr
(Saint est l'Éternel notre Dieu, n° 35).
L'œuvre apparaît comme un savant dosage des styles de l'oratorio haendelien et de l'opéra romantique à la Weber. De nombreux épisodes suggèrent l'action et le mouvement : caractère Agitato du chœur n° 10, «
Du bist's Elias
»
(
C'est toi, Élie ) ; véhémence du peuple lorsque le feu apparaît sous la victime, n° 16, «
Das Feuer fiel herab
» ; (
Le feu descendit du ciel
) ; rencontre peu amène d'Élie et de Jézabel dont les objurgations sont ponctuées par le chœur (n° 23).
Une force physique émane des récits et des airs d'Élie, personnage dramatique central, héros connaissant des états de violence et de détresse.
Dans une lettre à Schubring, Mendelssohn se le représente comme un vrai prophète, «
tel que nous aimerions en avoir de nos jours : fort, plein de zèle, parfois aussi fâché, colère et sombre - en opposition avec la racaille de la cour - et pourtant comme porté par des ailes d'ange. C'est surtout le côté dramatique qui m'intéresse ici
».
A l'image d'
Israel en Egypte
de Haendel,
Élias
débute par un récitatif où, avec solennité et gravité, le prophète annonce la sécheresse : les quatre accords des bois et des cuivres, la montée sur l'accord parfait mineur de la voix d'Élie, les deux intervalles descendants de triton rappellent, à la manière des liens motiviques, la présence d'Élie tout au long de l'ouvrage.
Les quatre grands airs d'Élie - deux dans chaque partie - comptent parmi les plus nobles et vigoureuses inspirations de Mendelssohn: affirmation de la puissance de Dieu dans le n° 14, «
Herr Gott Abrahams
» (Dieu d'Abraham) ; révolte du prophète dans le n" 17, «
Ist nicht des Herrn Wort wie ein Feuer
» (
La Parole de Dieu n'est-elle pas comme le feu ? ), avec de redoutables vocalises ; émouvant air du découragement, dans la lignée de Bach, au n° 26, «
Es ist genug
» (C'en est assez), avec un magnifique contrechant de violoncelle ; arioso de la confiance retrouvée n" 37, «
Ja, es sollen wohl Berge weichen
» (Oui, les montagnes s'écarteront).
Si Mendelssohn offre à Élie la prééminence dramatique et vocale, il écrit pour «
Le rossignol suédois
», Jenny Lind, l'un des airs les plus émouvants de la partition, le n° 21, «
Höre, Israël
» (Ecoute, Israël).
Les chœurs jouent un rôle moteur dans l'action ils représentent le peuple d'Israël, les prêtres de Baal, les anges ; « ils renforcent l'impression de solitude qui émane du personnage central, et justifient ses réactions» (R. Jacobs).
D'une grande diversité de conception et de style, ils se divisent en 4 voix de femmes et 4 voix d'hommes, avant de se réunir, dans le calme ensemble séraphique «
Denn er hat seinen Engeln befohlen
» (
Car il a ordonné à ses anges, n° 7), chef-d'œuvre de suavité au même titre que le délicieux et célèbre trio de voix de femmes a cappella ,«
Hebe deine Augen auf zu den Bergen
(Lève tes yeux vers les montagnes, n° 28) ; ils s'associent au quatuor de solistes pour former un double chœur d'une belle pureté, «
Heilig ist Gott der Herr
(Saint est l'Éternel notre Dieu, n° 35).
Mais c'est souvent l'aspect fastueux et monumental qui prévaut dans le chœur d'ouverture s'enchaînant à une fugue d'orchestre, «
Hilf, Herr!
» (
Aide-nous, Seigneur ) ou dans le véhément «
Wehe ihm
» (Malheur à lui, n° 24), ou encore dans l'intervention vigoureuse de l'épisode «
Aber der Herr sieht es nicht
» (
Mais l'Éternel ne le voit pas, n° 5 ), émanation du peuple d'Israël violent, inquiet, influençable.
Les écritures contrapuntiques et harmoniques alternent. Mendelssohn emploie - beaucoup moins souvent que dans Paulus - des chorals ou des fragments de chorals comme dans le quatuor de solistes n° 15, «
Wirf dein Auliegen auf den Herrn
» (
Offre ta prière à l'Éternel ) ou le passage central du n° 16, «
Der Herr ist Gott
», ainsi que des récitatifs pour chœur (fin du n° 1).
L'orchestre est, lui aussi, un acteur : il décrit (trémolos annonciateurs de la tempête, lorsque le jeune garçon, du haut de son observatoire, annonce à Élie qu'il voit un petit nuage s'élever des eaux, n° 19) ; il accompagne, ponctue les interventions vocales, avec des caractérisations précises (cuivres sonores pour le prophète). L'instrumentation - toujours remarquable chez Mendelssohn par son dosage et ses soli - apporte, comme le souligne R. Jacobs,
une touche à la fois poétique et réaliste
que l'on ne rencontrera plus que dans
Le Vaisseau fantôme
de Wagner.
Source: Encyclopédie Bordas