Le Messie, un oratorio
Le 27 Mars 1742, le Dublin Journal titre la grande nouvelle : "Pour le soulagement des détenus de plusieurs prisons et pour aider le Mercer's Hospital de Stephen's Street ainsi que l'Infirmerie Charitable de Inn Quay, le lundi 12 Avril sera présenté dans la salle de musique de Fishamble Street le nouveau grand oratorio de M. Haëndel appelé Messie, auquel participeront des choeurs des deux cathédrales..."
[...J Le Messie (Messiah, sans article défini) constitue dans le catalogue du musicien une oeuvre à part. Jusque-là, Haëndel s'est affirmé grand peintre dramatique ; ses opéras, ses oratorios étaient centrés sur des personnages bibliques ou héroïques, Esther, Saül, Athalie, comme le seront encore Samson, Belshazzar ou Salomon. Rien de tel avec le Messie. Ce n'est pas une représentation de la vie du Christ que Haëndel nous offre, une peinture où se trouverait redite une fois de plus l'histoire de la Nativité, de la Passion et de la Résurrection du Christ, mais une triple réflexion sur la Rédemption de l'Humanité, sur le combat de la Lumière et des Ténèbres, enfin, sur la relation entre Dieu et les Hommes. L.e Messie dépasse ainsi la simple narration pour accéder, loin du réalisme de Jésus, au mystère même de la Création et de la Rédemption [...].
[...] D'où le choix et la forme même des textes. À part l'annonce aux bergers, ils s'appuient non pas sur les Évangiles auxquels recourent traditionnellement les auteurs de nativités et de passions, mais sur des Psaumes (22, 69, 16, 24, 57) dans les deux premières parties, sur les prophètes (Isâie, Jérémie, Malachie), sur Saint Paul (Épître aux
Corinthiens), dans la troisième partie et sur le récit de l'Apocalypse de Saint Jean (fin de la troisième partie) [...].
[...] Au délà des contingences, le Messie demeure, avant tout, un hymne à la gloire du Fils de l'Homme, à la gloire de Dieu lui-même. Mais il est davantage. Haëndel y passe en effet de la contemplation de la vie à la justification même de la vie démarche, préoccupation haëndelienne qui, dépassant le cadre étroit de la chronique - fût-elle sainte - entend accéder à l'universel, à l'éternel [...].
[... ] On comprend l'emprise que puisse exercer pareille partition sur les foules dont elle touche à la fois le coeur et la raison, dont l'ampleur les saisit sans les accabler et dont la vibrante certitude renforce leur propre espérance. Conçu dans la fièvre et la douleur, le Messie s'achevait dans la gloire dès le premier jour. "Le Sublime, le Grand et le Tendre, adaptés aux mots les plus élevés, majestueux et vivants, conspiraient à transporter et charmer de ravissement le coeur et l'oreille", notait le Dublin Journal peu de jours après la première. Ce fut l'avis général. Quant au but charitable, il fut également atteint et sur la recette globale, le musicien put dégager plus de £ 400, partagées entre les trois fondations au bénéfice desquelles avait été donné l'ouvrage [...].
Jean Gallois