Souvent laissée dans l'ombre, surtout étant donné la conjonction difficile d'un, pianiste et de choeurs aux côtés du grand orchestre, la Fantaisie op.80 est loin d'être une oeuvre mineure. Son importance historique est évidente: elle est l'esquisse directe de la IX' Symphonie et nous découvre le cheminement lent et obstiné de Beethoven vers l'ultime chefd'oeuvre symphonique. Mais loin d'être une partition inachevée ou imparfaite, elle porte en elle des beautés très originales et attachantes où l'on a cru déceler en particulier l'humour de Beethoven: Beethoven écrivant une cadence de piano «alla Beethoven > , des développements instrumentaux "alla Beethoven".
Contemporaine des premières ébauches du Concerto "L'Empereur", la Fantaisie pour piano, choeurs et
orchestre vit le jour au cours de ce concert gigantesque du 22 décembre 1808 entièrement consacré à
Beethoven, qui devait entre autres révéler les Ve et VIe Symphonies, une partie de la Messe en Ut majeur et le Concerto en Sol; un concert qui fut exceptionnel à plus d'un égard et d'abord par la signification que Beethoven prétendait lui donner: soirée d'adieu au public viennois.
"Enfin. je me vois contraint. par des intrigues, cabales et bassesses de toutes natures, à quitter la seule patrie allemande qui nous reste. Sur l'invitation de S.M. le roi de Westphalie, je pars comme chef d'orchestre ... ".
Mais Jérôme Bonaparte ne verra jamais s'installer à sa Cour le chef d'orchestre Beethoven. En dépit des défaillances des instrumentistes (le compositeur, qui était au piano, dut même faire reprendre un passage de la Fantaisie où les clarinettes s'étaient égarées). le concert fut un succès et, peu après-les amis viennois, l'archiduc Rodolphe. le prince Lobkowitz, le prince Kinsky, à l'instigation `de Marie Erdödy et de Gleichenstein, s'engagent à verser une rente annuelle au musicien pour lui permettre de demeurer à Vienne.
La grande introduction en style de cadence improvisée pour le piano seul, qui prélude à la Fantaisie, est postérieure au reste de l'oeuvre. On trouve les esquisses de cette première partie dans les carnets de l'été 1809. En revanche, le corps de la Fantaisie est bâti sur un thème principal déjà ancien. On le trouve
dans un lied de 1795, Seufzer Bines Ungeliebten und Gegenliebe (plainte d'un homme qui n'est pas aimé, et
Amour mutuel).
Légèrement amplifié dans son contour mélodique, il deviendra le thème du finale de la IX' Symphonie, sur lequel Beethoven placera le texte de Schiller. Dans la Fantaisie op.80, il est d'abord traité instrumentalement.
Le piano l'énonce le premier, puis successivement, la flûte, les hautbois, les clarinettes, les cordes et
enfin le tutti s'en emparent sous des formes variées et dans des tempi différents allant d'un Adagio très orné à une Marche rapide.
Les choeurs le reprendront dans sa forme originale, accompagné par le piano, puis par le tutti dans un climat d'exaltation croissante qui fait pressentir l'enthousiasme de l'Ode à la Joie.
Ce n'est pourtant pas encore à Schiller que Beethoven emprunte le texte, mais seulement à son ami Christoph Kuffner qui dut l'écrire presque sous la dictée du musicien.
Le message beethovénien y est ainsi clairement livré et justifie bien l'accession victorieuse de l'Ut mineur initial à la lumière éclatante d'Ut majeur.
Philippe Andriot
Fantasie C-dur, fur Klavier, Chor und Orchester
( Fantaisie en Ut majeur pour piano, choeur et orchestre.)